16/2/13
Parlons-en
Parlons d’abord de l’Arbre.
Ce matin, je m’acharnais à photographier, pour la énième
fois, le pin de l’église de Blainville. Je n’ai jamais publié ces photos, car
aucune ne me semble encore aboutie en ce qui concerne la beauté de l’Arbre.
Le brouillard noyait le site : le pin, l’église et le
cimetière tout autour.
Une dame s’approcha de moi : « Madame, vous prenez
des photos, malgré le brouillard ? » Je lui explique qu’avec la
complicité du flou de brouillard, les photos peuvent être « plus belles » ;
je prends pour exemple l’Arbre, qui, surgissant des brumes, est particulièrement
mis en valeur, alors que l’arrière-plan qui manque d’intérêt se trouve
justement brouillé…par le brouillard !
Elle me demande (la question qui tue) « Mais, c’est
quoi, une belle photo ? » Je bégaye quelques vagues « eh bien cela
dépend de chacun, de ce que l’on veut montrer, etc. »
Alors elle parle de l’Arbre. De la beauté de l’Arbre.
Et subitement elle me dit : « Mais Madame,
savez-vous pourquoi il est beau cet Arbre ? » Mon esprit ouvre des
tiroirs botaniques, je voudrais lui expliquer les pins, tous les pins, les
sylvestres, les parasol, les maritimes, les « à crochet », les « Cembro »,
les « d’Alep » », les « d’Autriche » et autres « de
Douglas »…toutes les différentes espèces de pin qui existent. Pour lui dire
qu’ils sont finalement tous plus beaux les uns que les autres.
Mais elle m’offre la réponse : « Cet Arbre, il
est beau parce qu’il pousse dans une tombe ».
Je lui ai dit: « Merci, Madame ».
Je suis partie avec ses mots, comme un cadeau.
Fin de « Porte de Champerret », hier soir.
Parlons-en aussi.
Un très bon livre. Il contient bien plus que ce que j’ai retenu…
du commentaire de présentation dans « Le Magazine Littéraire ».
Attirée d’emblée par le sujet et le titre, ce n’est pas l’évocation
du lieu lui-même qui m’a comblée. L’ouvrage n’est pas en cause. Mais
la Porte de Champerret ne représente à mes yeux qu’un lieu « connu », sans être
familier. Mises à part quelques caractéristiques notoires (garages, caserne de
pompiers, église Sainte-Odile) qui m’ont frappée et me sont revenues en
mémoire, nous n’avons jamais vécu dans ce quartier. Habitant la banlieue rouge
voisine, la Porte de Champerret ne fut pour nous qu’une zone située à-côté, traversière
ou fonctionnelle, occasionnellement visitée à pied pour nous rendre dans Paris
intra-muros depuis notre appartement de Levallois. Mai 68 fut peut-être la
période où nous nous y promenâmes le plus, par camion militaire interposé…
Au-delà de la convocation des souvenirs de la narratrice,
pour mieux les classer, les ranger, et peut-être mieux les congédier, au-delà
de cet enfermement nécessaire dans un appartement vieilli, en voie de
dégradation, cette émotion du souvenir présente au fil des pages, le témoignage
de l’auteur ouvre le chemin de la compréhension de ses parents. Leur
personnalité, leurs non-dits du massacre nazi de leurs familles. C’est pourquoi
ce livre est lumineux, il éclaire les zones d’ombre, il calme les colères, il
justifie. Il fait découvrir, il analyse, il décortique. Il ouvre la voie de l’explication,
et par là-même celle de l’apaisement.
Un grand livre, une démonstration de ce que peut être l'acceptation
intelligente de l’inacceptable.
Enfin et surtout, il illustre comment la narratrice parvient
à supporter la maladie de sa mère, à la remettre à distance, comment elle voit
les étincelles de vie quand elles jaillissent et sait tourner en dérision les
non-sens, les dépasser, seul moyen pour les dominer.
J’aurais aimé croiser ce livre durant la maladie de ma mère.
Notre descente aux enfers, elle et moi, pendant sa démence. Je pense aujourd’hui
que j’aurais été capable de l’ouvrir et de le lire. Mais je n’en suis pas certaine.
S’ils parviennent à le lire, cet ouvrage peut apporter une
aide puissante à ceux qui sont confrontés à ce désastre-là.
Je crois que seuls ceux qui l’ont subi peuvent réellement
comprendre ceux qui en souffrent. Et peut-être, les réconforter.
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