13/2/13
En la croisant au hasard d’un couloir, je l’avais à chaque
fois trouvée jolie, S. Un visage arrondi, un sourire enjôleur, de
magnifiques yeux bleus. Foncés, avec une touche de gris dedans. Toujours très
bien habillée. Couleurs vives, contrastes étudiés, chaussures assorties à
l’écharpe ou au dessin du chemisier, ongles peints, du grand art au quotidien.
La voici parmi nous et je l’observe plus en détail. Ces
dernières années elle a dû prendre un peu de poids, me semble rondelette. Si ses
jambes restent fines, cet embonpoint naissant a déséquilibré sa silhouette. Parfois,
je remarque de vilains plis de crispation dans certains de ses sourires. Elle
en fait trop, elle en rajoute. Que cache-t-elle ?
Puis j’ai découvert son rire, un torrent qui éclate, qui
prend toute la place, comme un meuble trop grand. Encombrant.
Mais en prêtant l’oreille, j’entends des pierres rouler dans
cette musique-là.
Pénétrant un matin dans son bureau je devine la source de
cette voix rauque qu’elle ne parvient pas à masquer entièrement. Elle fume.
Dans ce bureau glacial, l’odeur de cigarette envahit les
lieux.
Avant-hier, à l’éternelle question « ça
va ? » son visage trahissait l’épuisement.
Ce matin, elle laisse échapper quelques confidences. S. tente
depuis deux jours d’arrêter de fumer, pour de bon, et souffre d’insomnies.
M’explique qu’elle fume à cause du travail et surtout au travail. Qu’elle a
déjà arrêté, pendant plusieurs mois, à la joie de sa famille.
Mais S. a repris, à cause du travail encore, et sans rien en
dire à sa famille, qui fait sans doute semblant de ne pas savoir. Alors elle
fume en cachette, utilise et crée mille prétextes, le week-end, pour s’échapper seule
et fumer une clope. Et retrouve le travail chaque lundi, avec un bonheur un peu
misérable, car elle peut ici fumer tranquillement.
Librement, comme elle dit.
Elle n’a rien avoué mais reconnaît avoir été surprise avec
une cigarette, deux fois, d’abord par
son mari, puis son fils. Qu’aura-t-elle inventé ?
A l’aube d’un voyage lointain avec les siens, elle
s’aperçoit qu’elle est coincée, prise au piège de ses contradictions et de ses
faiblesses. Noyée entre mensonges et non-dits.
S. est au pied du mur et elle le sait.
Aujourd’hui mercredi.
Je regarde ses yeux bleus inquiets.
Chaque jour est une victoire. Bonne chance, S.
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