mardi 10 septembre 2013

D"un nom à l'autre



10/9/13
D’un nom à l’autre

Au travail, je suis fréquemment confrontée à la question du nom, surtout celui des femmes. Car celles-ci changent de nom. Dans l’univers binaire de nos ordinateurs, quelle drôle d’idée !

On se perdait déjà dans les paperasses. Entre le nom de jeune fille, le nom patronymique, le nom d’usage, le nom marital, etc. la femme change de nom, parfois plusieurs fois dans sa vie. « Comment vous appelez-vous ? » Pas toujours facile de répondre !
Lors du mariage, certaines adoptent avec plaisir le nom du mari, souvent pour faire comme les autres. Ou combinent le leur avec celui de l’époux, histoire de contenter tout le monde.
Plus tard, si un divorce survient, quelques-unes préfèrent garder ce nom étranger qu’elles avaient emprunté, mais la plupart n’ont qu’une hâte, retrouver partout leur vrai nom, cherchant à effacer ce traumatisme d’adulte. Nouveau changement de nom…

Nos outils informatiques s’y égarent, la plupart construits autour d’adresses électroniques, presque toujours bâties sur nos noms et prénoms. Les machines s’affolent : comment retrouver des individus qui changent d’identifiant ? Elles préfèrent additionner des clones de la même personne, dans l’impossibilité qu’elles se trouvent de changer ce qui, d’après elles, n’est pas modifiable. Pire, elles combinent parfois l’ensemble et s’entortillent elles-mêmes dans ces imbroglios.
J’observe avec un peu d’amusement qu’en dépit de nos « progrès informatiques », dans la pratique, le méli-mélo des noms se poursuit.

Mais le plus étonnant est la résurgence des noms fantômes.
Ainsi, bizarrement certes…une collègue a changé à la fois de nom et de prénom. Un collègue écrivit pour nous l’annoncer, cette phrase stupéfiante « Alice Martin devient Catherine Leroy ». (Note : noms et prénoms changés) A cette époque, je crus qu’une personne avait simplement pris le poste d’une autre…Il n’en était rien.
La machine n’oubliant pas tout, Catherine Leroy se plaint aujourd’hui que tout en effectuant des saisies informatiques sous son nom actuel, l’écran affiche, quelquefois, « Alice Martin » histoire de remuer les vieux souvenirs enfouis.
Je n’ai pas posé de question à Catherine Leroy, il m’a semblé que derrière sa plainte se cachait une demande forte, une chose importante, un droit à l’oubli, justement.
Pour moi qui n’ai changé que de nom, une feuille fiscale s’obstine à me rappeler annuellement mon ancien nom d’usage, abandonné depuis presque vingt ans…et ce, malgré mes réclamations renouvelées. Une autre feuille fiscale s’adresse à moi d’autorité sous un nouveau nom d’usage, suite à mon second mariage …et ce, malgré mon application à n’inscrire que le seul nom qui soit le mien, celui qui me fut donné lorsque que je suis née….
Qui suis-je ?
Les résurgences et les usages imposés ne sont pas si bénins qu’on pourrait le croire. Lorsqu’on touche au nom de la personne, est-on si loin de la personne elle-même ?

mardi 3 septembre 2013

Le petit pré d'Hermanville



02/09/13

C’est un petit pré verdoyant fermé d’une clôture grillagée, au bord d’un chemin de terre. Un peu à l’écart du village, un de ces vagues chemins qui passent par-derrière les jardins, parfois découpés en morceaux par des lotissements nouveaux. 
A première vue, le pré semble joli, frais et riant comme je les aime, et s’agrémente d’un immense cognassier comme vous n’en trouverez nulle part. L’arbre étale ses branches chargées de fruits, occupe tout l’espace et masquerait presque le reste.
Mais c’est bien le reste qui m’intrigue.
Au fond, c’est un poulailler en béton fort laid orné de grilles qui n’en finissent pas de rouiller. Point de volailles courant dans ce coin d’herbe tendre, l’endroit est bien désert. Serait-ce des lapins qui s’ennuient dans les casiers ?
Je me garderai bien d’aller visiter les lieux, car au beau milieu de la pelouse, à côté de l’arbre majestueux, est exposée une bien étrange chose.
C’est un animal empaillé, fixé sur une planche de bois, tenant dans sa gueule un autre animal, oiseau peut-être, sous forme de bestiole indéfinissable.
Guère férue en taxidermie, j’hésite à donner un nom à ces pauvres ruines d’êtres vivants.
L’animal gris-jaune campé sur son support, plutôt bas sur pattes et ras de poil, observe le passant en découvrant des dents acérées et le dévisage avec une expression féroce.
Quel est le sens de cette exhibition ?
Le propriétaire a-t-il fièrement empaillé son chien en mémoire de cet excellent chasseur qui lui était cher ? S’agit-il d’effrayer d’éventuels prédateurs par une présence menaçante…et pourtant aussi remarquablement immobile qu’un épouvantail ?
Je scrute un moment cet ensemble bizarre sans trouver d’explication satisfaisante à cet appareillage, puis, la tête encore une fois embarrassée de questions, je passe mon chemin.
Entre les corbeaux pendus et le chien-momie qui vous dévore de ses yeux morts, comment ne pas fuir, encore, cette campagne transformée en musée des horreurs ?

24/08/13



Le 24 août 2013 est la journée des M.

Demain nous partons pour Maignelay. Cette visite que je voudrais régulière, au moins annuelle, est importante.
C’est une brève rencontre avec mes disparus, mon histoire, tout ce que j’aime et déteste à la fois. J’ai rendez-vous avec mon passé, qui m’a tant alourdi la vie dans d’autres époques, mais qui pèse encore plus lourd aujourd’hui, par cet espace vide qu’il a laissé, en creux derrière lui.
Ce n’est pas tout près d’ici. J’imagine que si le village était plus proche, je me rendrais plus souvent là-bas, pour me recueillir, honorer ces lieux de mémoire, que je sais condamnés à l’abandon plus tard, lorsque je serai partie à mon tour.
Y aller deux ou trois fois par an par exemple.
Ce n’est pas que j’aime vraiment ce pays, oh non…
Parfois je me demande si je voudrais y retourner, pour y habiter, un jour, si je me retrouvais seule.
La réponse est un grand non. Bien sûr que non.
Mais j’ai parfois besoin d’y être. D’y respirer mes souvenirs.

Demain encore nous irons un peu plus loin, dans le village de Marestmontiers, dans la Somme. Quelques-uns de mes ancêtres y furent Meuniers. J’ai besoin de découvrir ce lieu, d’observer le site où se trouva peut-être le Moulin, avant les destructions guerrières.
Et j’espère même entrevoir le Marais, sur la piste d’une ancienne photo datée de 1903, exprimant toute la poésie d’un lieu profondément paisible.
 Et puis il y a les questions qu’on promène avec soi, telles que celle-ci : « Quand le moulin de Godenvillers s’arrêta-t-il de tourner ? Mon ancêtre DA fut-il le dernier meunier ? »

Et pour en terminer avec cette pensive journée, toute encombrée de M.., j’apprends ce matin auprès de Mathieu, mon Maraîcher, que le Manoir de C fut acheté il y a une vingtaine d’années par un fou, ou plutôt un Malade, d’une Maladie dont Mathieu a oublié le nom… 
Cette maladie consiste, d’après Mathieu, à acheter les anciennes propriétés de la noblesse, manoirs ou châteaux, pour les abandonner volontairement, faire en sorte qu’ils tombent en ruine…l’objectif étant de punir les royalistes ! Une opération de destruction pour faire disparaître les traces des anciens Monarchistes ?
Je l’ai écouté, un peu troublée.
Car je connais le manoir de C, nous l’avons observé de l’extérieur, en mars.
Nous avions écouté le silence des ruines et l’étonnant son de l’eau coulant à l’intérieur.
J’ai relu mon journal, en date du 3 mars 2013.
Je ne m’étais pas trompée. Pourquoi ?
Peut-être ai-je su…à cause du bruit de l’eau ?
Oui, bien sûr, c’est l’eau qui me l’a dit.