dimanche 10 février 2013

dimanche 10



10/2/13

Porte de Champerret.
C’est un dimanche après-midi, en hiver. Les rues semblent vides, le ciel de plomb. Quelques voitures hésitantes. Un homme encore jeune, une quarantaine d’années tout au plus, attend au feu rouge.
Il n’est pas très grand. Il tient par la main une petite fille bien emmitouflée qui lui ressemble un peu. Le nez, surtout le nez.
Il marche sans hâte sur le trottoir, la petite suit doucement, très légèrement en arrière.
Ils pénètrent dans l’église Sainte-Odile.
A l’intérieur, une fois le seuil franchi, oublié l’aveuglement de l’obscurité soudaine, ils restent stupéfaits par la hauteur du plafond. Le ciel de l’église les domine, loin au-dessus de leurs têtes.

Le Papa chuchote : « Oh, tu as vu, comme c’est haut ! » « C’est beau ! » s’exclame la petite fille. Ils s’extasient un moment, mesurent par hochements de tête répétés la distance qui les éloigne des cieux de pierre.
Ils visitent, longent les travées. Peu de lumière, pas de soleil illuminant les vitraux.
L’église est presque déserte, ce n’est pas l’heure de l’office. Quelques femmes pieuses, vêtues de noir, prient agenouillées. Ne lèvent pas la tête à leur passage.

Le Papa et la petite fille ne font pas de bruit. Ils traversent l’église fraîche en marchant silencieusement sur la pointe des pieds, pour ne pas troubler les prières. Ils font très attention.
Puis découvrent les coupoles translucides. Ils s’arrêtent encore.

Le Papa dit : « regarde, là-haut, on dirait des soucoupes volantes ».
La petite fille sourit. « Mais non, papa, pas dans une église ! »
Le Papa : « Si, si, regarde, il y a des petits martiens dedans, ils vont descendre »
Et la petite fille regarde plus attentivement.
Elle s’esclaffe plus fort en regardant le Papa.
Alors le Papa se met à rire lui aussi.

Ils rient tous les deux d’abord très discrètement, puis la petite fille pouffe de rire, met sa main devant sa bouche pour ne pas faire trop de bruit. Le Papa fait pareil. Ils se regardent.
Et voici que le fou-rire les prend, et d’un accord tacite, alors que des larmes leur montent aux yeux, ils se dirigent vers la sortie, ils se sauvent en toute hâte, marchant toujours sur la pointe des pieds, puis presque courant, tandis que leurs petits cris de rires étouffés résonnent comme des flûtes, dans le brouillard d’encens bleu qui parfume la nef.

Les voilà enfin dehors, éblouis par la lumière, essuyant leurs visages humides avec de grands mouchoirs, tout à la fois honteux d’avoir brisé le silence du sanctuaire, coupables  mais joyeux d’avoir tant ri dans ce lieu interdit, par un dimanche après-midi.

10/2/13
Sur un post-it j’ai noté : lire « Porte de Champerret » de E. Bloch-Dano, Grasset

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