Visite impromptue au manoir de C.
Arrivé à C., on le trouvera caché derrière l’église et le
cimetière, eux-mêmes situés au bout d’un chemin de terre, dans une zone boisée,
invisibles de la route principale du village. Ainsi, dès l’entrée, le lieu
semblera mystérieux, abrité des regards.
A l’approche du manoir, la vue de l’un des pignons deviendra
rapidement affligeante, les anciennes fenêtres paraissant couvertes d’un
immonde papier gris, peut-être un feutre bituminé, pour masquer l’intérieur. On
devinera un lieu abandonné, livré à la décomposition des choses.
Plus loin on apercevra, vu de côté, un escalier d’entrée, autrefois
délicieusement romantique, et une porte ouverte.
Barrant l’accès, une haute grille verte cadenassée,
décourageante.
En observant au-travers des feuillages, on découvrira que le
manoir s’entoure de douves, qui, sans être remplies d’eau, paraissent
suffisamment profondes pour que l’on puisse s’y noyer, et sont bordées d’arbres
dressés ou écroulés en tous sens, dans un savant désordre sauvage.
Peu à peu les environs se révéleront puissamment clôturés,
les côtés de la grille d’entrée s’appuyant sur des barres de fer pointues.
On pensera que l’on n’a pas hésité sur les moyens pour
rendre le lieu hors de portée des curieux.
Le manoir ressemblera ainsi à une île inaccessible,
emprisonné dans une double gangue de fossés et de clôtures infranchissables,
condamné à se refermer et à s’effondrer sur lui-même.
Mais le plus frappant restera, au milieu du silence, le
bruit de l’eau. Ce ne sera pas le bruit d’un ruisseau qui chante, mais un son
résonant, le bruit de l’eau qui coule dans quelque chose, qui s’introduit dans
un espace clos.
Surgira alors cette impression sournoise que l’eau des
douves pénètre dans le manoir, qu’elle s’insinue dans des caves, des entresols
devenus marécages, s’infiltre dans les murs, monte à l’intérieur de boiseries
et de plâtres en poussière, et qu’une pourriture liquide envahit la bâtisse
entière, dans un lent et inéluctable engloutissement.
On se demandera alors si la destruction du manoir par
lui-même n’a pas été choisie, en guise de punition d’un lieu abhorré.
Nous ne reviendrons pas visiter le manoir de C.
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