jeudi 30 mai 2013

Peindre en blanc



30/05/13

Dans les locaux où je gagne mon pain quotidien, à la sueur de mes yeux et de mes doigts, à défaut de celle de mon front, tous les murs sont blancs. Très blancs.

Il existe toutes sortes de blancs. On citerait à la hâte le blanc ivoire, le blanc cassé, le blanc coquille d’œuf, tous ces faux-blancs voire faux-semblants, qu’un photographe traquerait avec une balance. 

Mais le blanc dans lequel je m’épanouis est un vrai blanc bien pur, ni bleu ni jaune ni gris, tout droit issu des couloirs de l’hôpital, ou plutôt de leur sinistre représentation enfoncée dans nos mémoires. Ce blanc tellement froid qu’il nous aide à détester notre environnement de travail, aussi glacial par son chauffage intermittent que par son absence de couleur.
Ce blanc-là m’évoque plutôt quelque blanc d’Espagne dénuée de soleil…, le blanc titane de mes tubes de peinture, ou le blanc bien propre d'une buanderie rustique badigeonnée au lait de chaux.

Soyons honnête : quelques couleurs impromptues surgissent néanmoins dans nos coursives en boucle, en-dehors des personnages égarés qui y déambulent à longueur de journée. Des taches rouges, vertes et jaunes, apparaissent çà et là, grâce à des néons de couleur suspendus aléatoirement aux plafonds. Sans doute faut-il voir là le génie de l’illustre architecte à l’origine du bâtiment ?

D’importants travaux de peinture se sont récemment déroulés dans ce labyrinthe plus blanc que blanc, mais la notoriété du concepteur des lieux est telle qu’il n’est venu à l’idée de personne de peindre les murs d’une autre couleur que celle qu’il a choisie. Chose donc inconcevable par nature, et qui plus est, illégale : nul ne se serait même permis de l’imaginer.

Et pourtant, et cela reste un mystère pour la plupart d’entre nous, quelque peintre en bâtiment plus artiste que les autres s’est autorisé à quelques fantaisies. Sur le mur blanc, là où les néons projettent leurs couleurs vives, de discrètes touches de couleur vite éclaircie, estompées à l’éponge ont parfois été posées. Ici, quelques volutes roses procurent un fond nuageux à certaines taches rouges, ailleurs quelques courbes vertes font écho à une tache verte.
Ces fumées colorées éparpillées restent si discrètes que parfois je suppose que le peintre a finement rusé, en ajoutant simplement quelques sur-épaisseurs de peinture blanche, capables de réfléchir la lumière différemment et de concentrer la couleur du néon, pour donner l’illusion, à nos pauvres yeux épuisés par nos écrans d’ordinateur, aveuglés dans notre grotte blanche, d’apercevoir des peintures rupestres contemporaines.


Cet étonnant peintre en blanc maîtrisait-il l’art du faux-semblant ?
Lorsque j’arpente les lieux à mon tour, je reste intriguée par ces formes, œuvres hypothétiques, rien d’autre peut-être que le fruit de mon imagination. Je les dévisage de près: ne fut-ce pas tout bonnement le hasard qui créa cette empreinte subtile, en combinant habilement d'aléatoires traits de pinceaux ?
Un jour, j’osai demander autour de moi d’où provenaient les traces colorées.
On me répondit: « Oh ce n’est rien ! C’est le peintre qui s’est amusé »
Me voilà rassurée : je ne suis pas la seule à les avoir vues.
Et il me plaît de croire que l’artiste peintre, se moquant bien de l’interdit, a laissé sur nos murs son élégante signature.

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