01/06/2013
Associée depuis quelques années à un programme de science
participative, chaque printemps je réalise des relevés botaniques dans des
lieux précis, aussi rigoureusement identiques que possible d’une année sur l’autre.
Je n’ai pas choisi ces lieux, c’est un programme informatique qui les a
déterminés de façon aléatoire. Autant que faire se peut, je m’approche des
points ainsi fixés, en prenant et reprenant moult repères, de façon à les retrouver
l’année suivante quoiqu’il arrive et sans me tromper.
Tout est possible : la machine m’a attribué des points
dans des forêts, des marais, sur des bords de chemins ou des routes, au milieu
des champs, dans des cours privées, parfois même sur des trottoirs ou des parkings.
Certains points restent inaccessibles : il existe des points de remplacement.
Il faut jouer le jeu même s’il serait tentant d’aller
herboriser quelques mètres plus loin où l’herbe est plus verte ou les fleurs
plus jolies.
Donc je m’exécute : je participe. Je sais que j’ai peu
de chance de rencontrer la moindre plante rare, mais peu importe, je suis les
plantes sauvages, ces mauvaises herbes nos voisines, qui elles aussi donnent des
signes de faiblesse.
Je retrouve fréquemment les mêmes plantes au même endroit d’une
année à l’autre. Toutes les vivaces, par exemple.
Mais pour le reste, souvent ce n’est pas pareil. Un
événement s’est produit, on aura fauché plus tôt, je serai en retard, la saison
sera plus froide ou tardive, on aura faucardé un fossé ou retracé un chemin, débroussaillé
ici, voire déposé des tas de pierres là où s’épanouissait une prairie. J’observe
peu à peu les choses qui se dégradent ou se banalisent : l’homme y
contribue largement.
Parmi les points les plus pauvres, j’ai hérité d’une station
située en bordure de cultures industrielles, une sorte de gros maraîchage chimique.
Poireaux repiqués, semis de carottes, plus tard des choux. Rien d’extraordinaire.
Et guère de mauvaise herbe non plus : il n’y a pas grand monde à suivre,
car il n’y a plus personne.
Mais ce point-là situé au voisinage de l’arrière d’un gigantesque
hangar agricole me fit bientôt peur. Cette zone cachée des regards s’est
transformée peu à peu en décharge agricole. Il y a deux ans des cageots disloqués
s’entassaient parmi des légumes pourris, mélangés à de vieux sacs de pesticides
déversant des restes douteux de poudres infâmes, à côté de flaques verdâtres et
nauséabondes. Une odeur âcre se répandait tout autour.
L’an dernier des goélands et quelques corbeaux tournaient
autour de cette triste zone, alors que j’observais plusieurs cadavres d’oiseaux
méconnaissables, égarés ou empoisonnés. Une grande volière grillagée emprisonnait
quelques pigeons : je crus naïvement que le propriétaire des lieux s’intéressait
à la colombophilie.
Je suis passée par là aujourd’hui et je ne me suis pas attardée.
Il n’y a plus de légumes, mais un grand champ de céréales, orge
peut-être. La volière n’héberge plus de pigeons, mais enferme des corbeaux
freux, affolés à mon approche, se jetant sur des grillages qu’ils ne pourront
pas franchir.
Il n’y a plus de cageots, mais des poissons gisent en tas
sur le sol, en partie recouverts d’une sorte de poudre verte indéfinissable.
Il n’y a pas d’odeur non plus.
J’aurais presque préféré qu’il y en eût, et que quelque
charognard soit en train de dépecer les poissons pour se nourrir.
Encore que. Pourquoi étaient-ils là ? Empoisonnés ?
Et ce vert ?
Enfin, pour couronner le tout, au bout d’une ficelle bleue à
ballot de paille, accrochée à une perche métallique, au bord du champ d’orge, un
corbeau était pendu par le cou.
Et le vent balançait le cadavre noir et desséché.
Pourquoi ?
J’ai regardé cela, juste une minute.
Vaguement pensé à des choses anciennes et barbares. Des
chouettes clouées sur des poutres par exemple.
Pourquoi ?
Je n’ai pas pris de photo.
Je me suis enfuie.
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