12/2/14
B comme bonjour
On dit souvent d’une chose simple qu’elle est facile, plus
précisément facile comme bonjour.
Je profite du petit jeu littéraire hebdomadaire où je me
suis embarquée…et où la consigne m'invite cette semaine à rédiger un
billet dédié à la lettre B,
pour m’emparer de cette proposition et de ce si joli mot : bonjour.
Car est-ce si facile, justement, de dire bonjour ?
Observons cette politesse quotidienne là où j’habite,
professionnellement s’entend. Dans cet univers blanc creusé de couloirs
alambiqués où nous marchons sans cesse à la recherche de quelque bordereau indispensable,
chacun de nous au fil de la journée croise ses semblables. Dans ces galeries
interminables, on rencontre deux types de semblables. D’abord, ceux dont le
regard se porte vers l’autre, qui saluent le collègue de hasard d’un sourire,
accompagné d’un « bonjour » franc, dénué de sous-entendus. Puis, ceux
qui déambulent le regard vide et fixé devant eux, tels des somnambules, qui
vous ignorent ou feignent de, tout absorbés qu’ils sont par leurs tâches
fondamentales ou leurs pensées profondes. Ceux qui vous rendent transparents.
Bien entendu, selon le type auquel j’ai affaire, mon
attitude diffère. Je réponds sans hésiter d’un même bonjour à celui qui m’a
largement saluée, voire hélée d’un signe de la main. A ceux qui
paraissent muets et aveugles j’ose parfois avancer le même bonjour que
précédemment, et l’autre, très obligé, sort de son absence pour m’adresser, en
me regardant de travers, un bonjour bien froid, un peu pincé, rempli du non-dit
mais tellement pensé « Mais qu’est-ce qu’elle vient m’em…celle-là ! ».
Sans doute est-ce pour lui un acte très difficile que de dire bonjour à
quelqu’un, à moi en tout cas.
Mais souvent, je n’ose rien prononcer, car cet autre me
semble si désespérément noyé dans son marécage intérieur que nous passons l’un
près de l’autre sans parler, ni se regarder, ou seulement à la dérobée, comme
on le ferait dans le métro, lorsque les gens se touchent mais jamais ne se
regardent.
Au-delà de la rencontre fortuite au fil d’un corridor,
quelques-uns forcent la dose.
Cela fait partie de leur hygiène de vie. J’ai connu ce
système rétro et fort sympathique dans un ailleurs ancien, où la cérémonie du
bonjour consistait à faire le tour, chaque matin, de tous les bureaux du
service, toutes portes ouvertes pour accueillir les nouveaux arrivants à bras
ouverts, en quelque sorte…. et à donner une bonne poignée de main à tous ceux
qui étaient déjà sur le pont, la plupart du temps déjà dans le feu de l’action…
Cette pratique n’existe ici que dans certains clans bien
déterminés, et la bise a remplacé nombre de poignées de mains. Agrémentée de
quelques bavardages et autres blablas, la cérémonie peut s’éterniser. Voire
devenir fastidieuse. D’accord, c’est cool, mais plutôt nul, à force…Vous
voyez ?
Enfin, il en est une qui a trouvé une autre façon de faire.
C’est une petite bonne femme, qui trottine plus qu’elle ne marche, appelons-la
L. Cette L. est une maniaque du bonjour. Au grand agacement de certains, L. dit
bonjour à tout le monde, à tous ceux qu’elle croise au long de ses kilomètres
arpentés, plusieurs fois s’il le faut. Pour résumer, L. dit bonjour toute la
journée.
Elle peut même combiner sa méthode avec la cérémonie
précédente. Quand elle passe dans un couloir, elle crie son bonjour à chacun de
ceux qui se trouvent assis dans leur bureau, la porte ouverte, le regard hypnotisé
par leur écran d’ordinateur et qui ne la voient pas. Certains répondent, comme
moi -en général-, d’autres n’ont rien entendu, ou font semblant d’être devenus
sourds, et on peut imaginer que L. dit bonjour aux armoires, aux murs du
couloir, ou à quelque spectre qu’elle aura entraperçu au loin, quelque part
là-bas, dans le noir. On peut même deviner le chemin qu’elle parcourt au nombre
de bonjours jetés au passage des portes successives...
Quelquefois même, elle ouvre les portes. Ainsi, hier matin,
elle a frappé à la porte de mon bureau, fermé pour cause de période hivernale,
et m’a distribué son premier bonjour de la journée.
Il m’arrive de juger qu’elle exagère. Ou de la croire un peu
folle. Un jour j’ai osé une réflexion : « On s’est déjà dit bonjour,
ce matin, je pense ». Sans se vexer le moins du monde, elle m’a
répondu : « Je ne sais pas, j’oublie à qui j’ai dit bonjour. Donc je
préfère le dire à chaque fois, comme ça je suis sûre de n’oublier
personne ».
Ça se défend, comme point de vue.
Même s’il s’agit d’un tic pour lutter contre les effets de sa
perte de mémoire, en voici au moins une pour qui il est bien plus facile de
dire bonjour que de jouer au fantôme…
Alors, oublions notre impatience…Puisque pour L., dire
bonjour n’est pas seulement facile, mais essentiel…Bonjour L. !
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire