11/1/14
Voici que j'abandonne un moment ma chère Bourgogne pour
traîner mes sabots dans les chemins boueux des registres paroissiaux de l'Orne,
département de Basse-Normandie, limitrophe de celui où j'habite.
Diable, pourquoi ce coin perdu?
C'est une histoire de famille, mais cette fois je délaisse
mes péquenots Picards et mes vignerons Bourguignons: occupons-nous de celle de
D.
La grand-mère maternelle de D, férue d'histoire familiale,
avait déjà écrit un livre à l'intention de ses petits-enfants, reprenant le
texte d'un journal intime, puis d'un ensemble de lettres, datées du XIXème
siècle, de l'une de ses aïeules, dite "veuve Picot". Elle avait ainsi
reconstitué un arbre généalogique fort détaillé pour l'époque où il a été réalisé.
Toutes ses recherches furent menées par courrier: le résultat démontre une
motivation affirmée et une forte opiniâtreté. A l'appui de ses travaux et de
l'imaginaire collectif, la famille se croyait ainsi, pour la branche maternelle
Picot, issue du Loir-et-Cher ou de ses alentours, villes de Montrichard, Blois
et Loches. Famille bourgeoise: marchands, ecclésiastiques de renom, hommes de
loi, médecins. Puisque cela était ainsi depuis la fin du XVIIIème siècle, il ne
faisait aucun doute que cela avait toujours été. Depuis l'éternité, en quelque
sorte.
Je n'aime pas trop les fêtes de Noël, retrouvailles
obligées, libations excessives, cérémonies de cadeaux plus ou moins douteux, et
j'en passe.
Mais celles qui viennent de se terminer ont pimenté
l'affaire, grâce à l'ouverture d'une brèche dans les certitudes familiales tacites.
La grand-mère de D avait décidément bien fait les choses. Outre
l'arbre généalogique et le livre, elle avait gardé des documents, des
certificats, des photos, des faire-part, le tout rassemblé dans un classeur
soigneusement conservé par A. la maman de D.
Puisque A n'est plus parmi nous, les classeurs de photos ont
accompagné l'une des soirées de ce Noël 2013.
Je me suis plongée, avec un plaisir proche de la délectation,
dans celui qui évoquait les ancêtres...et découvert avec stupéfaction les notes
complémentaires laissées par la grand-mère, que personne n'avait (vraiment) lues.
Ces notes émettaient l'hypothèse d'une origine bas-normande pour la branche
Picot, et plus précisément du côté de l'Orne...A cause principalement d'un
parrain, marchand, originaire de "Couterne
en Basse-Normandie".
Dès mon retour dans mon jardin généalogique, je me suis
précipitée sur les bases de données d'Internet pour m'apercevoir ...que la
clairvoyante grand-mère avait vu juste.
Dès la fin du XVIIème, la branche Picot est issue de
Magny-le-Désert, dans l'Orne, mais ce ne sont probablement pas des bourgeois.
Leur condition est difficile à cerner, car les curés des XVIIème et XVIIIème siècles
de ce pays restent peu bavards, on pourrait même parler de minimum syndical à
leur sujet, voire moins ! Aucune profession n'est jamais indiquée, les bébés
qui meurent ne sont pas cités...Les registres, sans être réellement mal tenus, semblent
pauvres et tristes, très difficiles à lire, offrent des encres pâlies, des graphies
multiples, bousculées, faibles, incertaines... Découragée, je faillis même tout
envoyer promener!
Comble de l'étrange; certaines pages qui auraient dû rester
blanches, ou ne pas être, contiennent des sortes de fables telles que le
morceau choisi numéro un ou numéro deux, celles-ci par contre remarquablement
bien écrites et parfaitement conservées. S'agit-il de copies d'extraits de
bréviaire, d'exercices d'écriture, de préparations de sermons? Car toutes ces
historiettes qui se succèdent sans mention d'auteur ont un fort parfum
moralisateur. Chacune a pu faire l'objet d'un sermon lors d'une messe
dominicale...
Me voici donc dans un autre monde, bien différent de ceux
que j'ai traversés. Il me faudra du temps pour le comprendre, et encore plus de
diplomatie pour informer ceux qui se croyaient bourgeois, voire nobles, depuis
la nuit des temps ...qu'il n'en est rien.
Je m'amuse à imaginer que certains, aucunement intéressés aujourd'hui
à connaître leurs véritables origines, ou se prétendant détachés d'une si
futile préoccupation , arboreront une mine déconfite lorsqu'on leur dévoilera que
leurs ancêtres furent, comme les autres, de misérables
paysans.
Je me trompe peut-être. Il n'empêche, reconnaissons à cette
nouvelle facétie généalogique cet avantage intellectuel plaisant de devoir étudier
comment un "misérable paysan" devient, au XVIIIème siècle, un "riche
bourgeois"!
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