4/12/13
D'abord évoquons ceux que l'on rencontre partout, perchés
dans nos arbres généalogiques. Internet
nous les propose en maints exemplaires, retrouvés ou recopiés, voire copiés
collés, peut-être pistés, que sais-je? L'immense réservoir des données personnelles
de nos aïeux s'ouvre lorsqu'on actionne les mots magiques, et cela me fascine.
Surgissent de l'inconnu, du magma numérique, plusieurs de mes ancêtres, nommés,
datés. Le tampon encreur les estampille: les voici nés, mariés, morts, ici et
là, puis là encore, partout. Fini, l'anonymat.
Que font-ils donc là, rassemblés, identifiés, désignés, cités
et répétés sur mon écran du XXIème siècle? Et pourquoi? Qui s'est intéressé à
eux ? Que leur vouliez-vous?
Cependant impossible de résister...Fébrilement, je note, je
vérifie, je contrôle. Puisque d'autres chercheurs les ont extirpés des temps oubliés,
parce que ce sont mes ancêtres à moi, oui, les miens, alors il faut que tout
soit juste, s'il vous plaît. Toute faute est insupportable: aucune erreur ne
sera admise.
Mais d'autres restent somptueusement discrets. Secrets. Absents.
Ils n'existent pas dans l'univers binaire: les mots magiques ne déclenchent aucune
porte, et Internet persiste à me dire qu'il
n'y a personne au nom que vous avez demandé. Nul ne les a réveillés, ils
dorment encore tout au fond de nos mémoires.
Ces êtres fantômes m'intriguent par-dessus tout. Je ne
possède qu'un nom et un prénom, parfois incertains, souvent déformés. Ils furent là, il y a bien longtemps, nul ne
sait leur histoire, nul ne les a sortis de l'oubli...c'est à moi de leur offrir
cette étrange renaissance dans nos gigantesques bases de données.
Puisqu'ils se cachent, pour les débusquer je peaufine. Je
bâtis des hypothèses, je croise les données. Impossible de se borner à ne
suivre qu'une ligne précise, à tracer "bêtement" le chemin direct de
la dixième ou onzième génération jusqu'à la mienne: j'étoffe, je reconstitue les
familles. Il me faut les fratries, j'étudie les cousins. Un remariage survient...et
les enquêtes se multiplient.
Tous ces fantômes-là guident ma route, étonnante et imprévisible.
Ils me tirent en avant. Quelques-uns ont laissé au bord de leur chemin, quelques
petits cailloux blancs, qu'il faut savoir distinguer dans le brouillard du
temps.
Oui, me voici prisonnière, à la fin du XVIIème, quelque part
en Bourgogne, à la poursuite des ancêtres invisibles.