11/10/2013
Aujourd'hui j'ai "la honte": rien dit, rien écrit pendant
un mois.
On dirait administrativement parlant, qu'il
s'agit d'un accord, ou d'un rejet, tacite.
Autrement dit, silence gardé pendant un mois signifie qu'on
n'a rien à dire au sujet de la chose demandée...et que cette absence même
d'expression lui donne un sens par défaut.
Mais ne rien avoir à dire signifie-t-il un non-lieu?
Bien sûr que non. Au contraire. Il y eut la rentrée, le
retour des uns, des rendez-vous à honorer, les organisations à recréer, des
essais à entreprendre, les souvenirs à laisser de côté et des projets à
refaire...Tout ce ré-assemblage me prit du temps, de l'énergie, encombra ma tête
de pensées contradictoires.
Encore une fois, je ne sus pas me reculer suffisamment pour
observer à distance ce qui se tramait dans le nouveau paysage.
Et c'est ainsi qu'on n'écrit plus, parce que ça va
trop vite.
Aujourd'hui le temps ralentit. Mélancolie d'automne. Le ciel
devenu gris s'embarrasse de pluies continues et mouillantes, le feu a été
rallumé au salon...je vais bientôt remiser les chaises longues qui ont
finalement bien peu servi.
Alors pourquoi reprendre l'écriture du journal? S'est-il
passé quelque chose de particulier?
Oui, et c'est une histoire d'ancêtre.
Galvanisée par mon pèlerinage en Bourgogne, depuis plusieurs
mois je piste mes aïeuls de l'Yonne. J'ai rapidement trouvé, grâce à un
excellent site de généalogie et des personnes capables de partager leurs travaux...le
mariage du couple le plus ancien connu de cette branche...en 1695...et depuis
de nombreuses semaines je cherche à enrichir mes connaissances à leur sujet.
Lui fut un laboureur, aux initiales identiques aux miennes. Nous l'appellerons
donc CP.
Les recherches s'avèrent particulièrement laborieuses J'épluche
des registres en très mauvais état, pour ne pas dire en miettes. Je patauge
dans d'innombrables homonymes, des structures familiales étonnamment
reproduites d'une génération à l'autre, tout en construisant des hypothèses
pour reconstituer une possible fratrie du XVIIème siècle... qui me donnerait la
solution de certaines énigmes.
Je note tout: les gendres, les beaux-frères, les oncles et
les tantes, les cousins, même ceux qui étaient là, on ne sait pas pourquoi,
mais il y avait sûrement une raison... tous ces gens-là me sont infiniment
précieux. Et je bénis à mon tour ce curé qui se donnait la peine d'écrire avec
soin les noms de tous les spectateurs d'un événement, ou presque.
Mais au fil du temps, des déceptions, des échecs renouvelés,
des non-lectures de fragments indéchiffrables, des introuvables, je me
préparais à l'abandon de cette piste-là.
Et hier soir, n'y croyant plus, tout en ressentant une sorte
de sentiment prémonitoire, que "c'était maintenant" ou
"jamais", que j'avais assez tourné et retourné les mêmes pages en me
désespérant... j'ai trouvé l'acte de décès de CP.
CP disparut en 1724, à l'âge de 70 ans.
Cette trouvaille fut une sorte de soulagement, mais accompagné
d'une relative tristesse. A force de surveiller CP, il m'était devenu familier.
Je l'ai guetté partout. Présent à presque tous les mariages des proches, mais
aussi lors des deuils, ou des catastrophes familiales, telles qu'un beau-frère
foudroyé dans la rue d'un village, ou la douleur de la naissance de neveux,
deux enfants jumeaux... mort-nés.
Qu'est-ce à dire ? Qu'en cherchant des ancêtres on s'entoure
de personnages, d'une famille étrange dont les visages nous échappent, mais
qu'on se plaît à imaginer vivants dans des paysages inconnus. On trace leur histoire
en leur construisant un caractère. Bien au-delà des noms, ils deviennent des
personnes. Quand ils sont là où on les attendait, c'est une joie extraordinaire.
Ils ne savaient pas, et je n'étais pas sûre, et pourtant le rendez-vous est honoré.
Mais lorsque la mort survient, la magie disparaît.
Il faut leur dire adieu, une nouvelle fois. Les voilà
repartis pour le chemin de l'oubli, quasi-définitif.
Certains disent qu'il faut laisser les morts tranquilles. Bien
sûr.
Mais qu'importe ?
Je suis bien certaine que toutes ces enquêtes, ces jeux passionnés
d'une enfant tout simplement curieuse ...ne les dérangent pas beaucoup, là où
ils se trouvent... peut-être?