mardi 13 août 2013

Le chat du boulot



13/08/13

Je passe plusieurs jours de la semaine dans un bâtiment noirâtre, tout en verre. Un peu étrange car il possède un toit-terrasse couvert d’herbes folles. C’est ainsi qu’on le désigne à ceux qui viennent pour la première fois : le bâtiment noir avec des herbes sur le toit.
Malgré ses murs-panneaux de verre, il n’est pas clos comme les buildings de La Défense. On est en Normandie, ici, on respire. L’édifice est bas, sans air climatisé (pour quoi faire ?), la plupart des fenêtres s’ouvrent sur les alentours : la rue, le tram, des haies de thuyas, une pelouse.
Au rez-de-chaussée des portes-fenêtres s’ouvrent sur une terrasse de plain-pied avec la rue : les chanceux qui habitent ces bureaux-là peuvent s’échapper en douce pour rejoindre leur voiture en évitant les portes officielles et l’œil de la badgeuse.
Quelqu’un profite de cette situation privilégiée pour tenter de créer des relations avec ces pauvres humains enfermés qu’on appelle salariés.

C’est le chat du boulot.
Il est roux et blanc, plutôt maigre, pas très beau. Il miaule beaucoup, se frotte et se roule par terre, s’assure qu’on le regarde au-travers des vitres lorsqu’il s’étale au sol, s’insinue dans les portes-fenêtres ouvertes pour pénétrer dans notre univers administratif. Il semble s’y plaire beaucoup. Parfois il s’invite dans une réunion, s’installe sur une chaise. Il écoute. Ou il dort. Comme les participants eux-mêmes. Le chat du boulot s’adapte très bien.

Dans les couloirs, on proteste « Ah qu’il est embêtant ce chat ! » « Il va finir par se faire enfermer quelque part » ‘ « Il va faire des bêtises » (Grimper aux rideaux peut-être ? Dévorer nos dossiers ? Marquer son territoire ?)
J’essaie de positiver : « Ceux qui se plaignent des souris qui courent sous les thuyas devraient être contents. Il les fera fuir »
Bien que chacun se défende de lui avoir donné à manger, cet incroyable chat persiste. On le chasse, il revient.
Et le lendemain matin… le chat est toujours là.

vendredi 9 août 2013

Le bureau hanté



09/08/13

Au chapitre des mystères, voici celui du bruit inexpliqué.

Depuis notre retour de vacances, j’ai observé dans mon bureau un petit bruit de crissement.
Évoquant plus un bruit « électronique » que celui d’un animal. Un petit « zzzzitt » se produisant aléatoirement, mais assez régulièrement. J’ai pensé à un faux-contact dans un câble informatique, mais le son semblait naître du mur, derrière les casiers en bois qui me servent de meuble de rangement, là où ne se trouve aucun câble justement.
Ensuite j’ai imaginé un petit animal, un bébé souris coincé derrière le meuble, un oisillon perdu, voire un rat ? Qui sait, nous habitons la campagne…Puis je fus convaincue de l’absurdité de cette hypothèse, car si un animal vivant se trouvait prisonnier, sans doute se manifesterait-il autrement, plus violemment, par d’autres cris, d’autres bruits ?
J’ai abandonné l’idée d’identifier l’origine du bruit, je l’ai accepté comme faisant partie de mon environnement actuel. Dorénavant, dans mon bureau, il y aurait un bruit, un phénomène étrange. Il me faudrait vivre avec. Je l'expliquerais aux visiteurs étonnés: "il y a un bruit dans le bureau. C'est comme ça."

Il me semblait parfois que le bruit se manifestait toujours lorsque je travaillais des photos sous LR. J’accusais alors mon ordinateur à la lenteur préhistorique de faire chauffer quelques fils ou de préparer en catimini sa fin définitive.
Il n’en est rien. J’ai déménagé tous les casiers du mur hanté, sans me presser, afin de les remplacer par un autre meuble tout blanc, de briques et de bois, monté et peint maison. J’ai bougé tous les objets en me méfiant, surveillant les événements.
En ce moment, voyez-vous, je passe beaucoup de temps à surveiller. Les gens, les choses.
Je n’ai rien trouvé, ni derrière les boîtes, ni dans le mur. C’était vide: il n’y avait vraiment personne.
Sauf une petite araignée que j’ai laissée tranquille et qui est partie en trottinant, tout simplement.
Mais le bruit a disparu. Oserai-je dire qu’il me manque ?

Je ne saurai jamais qui ou quoi faisait « zzzzitt » le long du mur. Ou bien …
Parfois je me demande… est-ce que les araignées chantent ?

mercredi 7 août 2013

07/08/13



07/08/13
Anxieuse et facilement stressée certes, mais par nature je ne crois pas relever de la pathologie paranoïaque. Malgré l’éducation reçue, je ne crois pas que le monde entier me veuille du mal.

Plutôt spontanée avec les autres, voire naïve, parfois irréfléchie. J’ai une tête à faire confiance aux gens. Et réciproquement. Dans la rue par exemple, on me demande son chemin, on sollicite un renseignement. Je réponds poliment, je ne fais pas semblant de ne pas avoir entendu, j’essaie d’aider celui qui s’est perdu. J’accepte même de donner l’heure. Je n’imagine pas que, sous couvert d’une demande d’information, la personne me cherche des ennuis. Il m’arrive de m’excuser quand je n’ai pas la solution. « Désolée, je ne sais pas », dis-je parfois. Une bonne tête, si on veut. Pas très souriante, mais pas rébarbative, ou pas plus que la moyenne.

Mais depuis la semaine dernière j’observe les faits et gestes de celui que je soupçonne, tout en m’observant moi-même.
Un nouveau dossier est passé entre ses mains. Rien à signaler, traitement normal, délai classique, documents récupérés dans la case prévue. Tout va bien ?
Je n’ai sans doute plus une bonne tête quand mon esprit tourne à double-pensée, que je calcule tout autant que j’agis.
Bien sûr que je n’ai pas envie de sombrer dans ce délire-là, l’ayant côtoyé et critiqué dans d’autres temps.
Mais l’incident m’a trop intriguée. Je reste sur mes gardes, prête à pointer du doigt l’erreur, le fait prouvant le comportement maladif de celui qui cherche probablement à me coincer, je veux démontrer la justesse de mes accusations secrètes, justifier ma surveillance.
Je pressens aussi le danger de mon propre comportement.

Le paranoïaque est capable de démontrer la véracité de sa vision par tout moyen, de déformer la réalité au-travers de son prisme personnel, de l’organiser et de la présenter de manière à la faire accroire telle qu’il la perçoit ...à l’ignorant qui l’écoute.
Je sais cela. Alors je me méfie doublement. De l’autre et de moi.

vendredi 2 août 2013

02/08/13



02/08/13
Je n’ai pas eu besoin d’attendre longtemps.
Les voilà ressorties ce matin, mes fameuses fiches égarées.

A la première heure ou presque, J., une collègue d’un service fort lointain du mien entre dans mon bureau, l’air rayonnant, un petit paquet de dossiers à la main.
Je le vois, je la regarde, je souris. Elle me demande, toute joyeuse : « Est-ce que n’est pas cela que tu cherches ? » A ma mine épanouie : « Je suis contente, je te les ai retrouvées ! »  Moi : « Mais où se trouvaient-elles ? » « A la salle de documentation, chez M., je les ai vues ce matin, bien au milieu d’une table. »
Je n’ai pas fait de commentaire, je l’ai remerciée chaleureusement.
M. est en congés, bien sûr.
Nul ne saura jamais le trajet suivi par ces fiches que tant de monde a cherchées. Surtout moi.
Le mystère restera entier : erreur ou manipulation ?

Qui s’est trompé ? Qui est suffisamment dans la lune pour oublier derrière lui ce qu’il était parti déposer au courrier ? Qui est distrait au point d’abandonner au milieu d’une table vide ce qu’il est venu collecter pour le service ?
Ou bien qui est assez retors pour subtiliser le courrier de quelqu’un d’autre, notamment le mien, pour le faire réapparaître dans un lieu semi-collectif, quasiment désert dans cette période estivale ?

A ce stade de l’enquête, toutes les hypothèses restent permises, aucun scénario n’est exclu…

Toute à ma joie enfantine d’avoir récupéré ce qui m’était destiné, j’avais très envie d’oublier l’incident et sa bizarrerie.
Mais en observant de plus près les dossiers après leur ultime retour entre mes mains, je me suis aperçue d’une nouvelle étrangeté.
Saisie de doutes, craignant me tromper moi-même, j’ai vérifié tous mes documents, feuille par feuille.

J’ai dû me rendre à l’évidence. A moins d’avoir moi-même perdu l’esprit, l’un des quatre dossiers contient une pièce dans une version différente de celle que j’avais fournie, copie d’un document à un stade intermédiaire, que je suis la seule à avoir eu entre les mains en principe…car je ne l’ai transmis à personne. L’aspect de la copie démontre qu’elle a été effectuée sur une machine autre que la mienne, et le contenu atteste du vol du document dans mon parapheur. Quant à la pièce que j’avais fournie, elle a disparu. Annule et remplace.

Ce soir me voici persuadée de la justesse de mes soupçons. Le piège est astucieux, car je détiens une preuve que je suis la seule à pouvoir connaître, mais dans l’incapacité de confondre l’auteur du méfait.
Je m’interroge encore sur la présence et l’unicité de cette pièce à conviction. A-t-elle été placée là par hasard, par erreur, ou à dessein ? L’autre s’est-il trompé lui-même, ou connaît-il bien ma capacité d’observation, auquel cas il prévoit que je trouverai la trace de son passage en épluchant méthodiquement mes dossiers ? En ne plaçant qu’une seule pièce, il me laisse cependant encore une chance de ne rien voir, ou d’oublier, au bénéfice du doute. Pour être mieux piégée, la prochaine fois ?
Mais si, comme il le croit plus volontiers, je m’aperçois de la manipulation, il est aussi satisfait.
Car il sait que je sais que quelqu’un cherche à me nuire…mais je ne sais pas qui.
Malveillance et préméditation.

Comme on disait avant « Un homme prévenu en vaut deux ».
OK, me voilà prête pour le prochain épisode.

Je n’ai pas parlé de tout cela à D. Il faudra.
Et je répéterai sûrement, encore une fois : « C’est le boulot qui rend dingue ».

jeudi 1 août 2013

01/08/2013



01/08/2013
Il y a quelques jours je disais à D : « c’est le boulot qui rend dingue ».
Pourtant, c’était avant d’y retourner.

Voici ce que je nommerai « le mystère des fiches navettes ».
Revenue au travail depuis une semaine, je suis confrontée à un phénomène d’un genre nouveau et un peu agaçant : certains documents circulant en interne dans notre unité administrative, qui me sont destinés directement, disparaissent sans laisser de traces. Dès mon retour jeudi dernier, je me suis mise à la recherche d’un premier document, prévu pour m’être retourné pendant mon absence de juillettiste, mais demeurant introuvable. Mon enquête n’ayant abouti nulle part, nous avons reconstitué ce premier dossier avec l’aide des collègues du service comptable. « Faire et défaire … »
Ayant presque oublié l’incident dès le lendemain vendredi, j’ai déposé quatre nouveaux dossiers auprès du service comptable, puis j’ai attendu avec un peu d’impatience leur retour, car ceux-ci étaient urgents.
Mercredi, commençant à juger l’attente un peu longue, j’ai entamé une nouvelle enquête à leur sujet…pour apprendre que les documents traités avaient été déposés lundi dans la case courrier destinée à notre service. J’ai alors poursuivi l’enquête générale dans mon service, fait fouiller les piles de courrier dans les bureaux, envoyé un appel général par messagerie électronique, sans résultat.

En réponse à l’expression amusée et légèrement narquoise des collègues des autres services « Alors as-tu retrouvé tes fiches ? » « Mais qui donc vous vole vos documents comptables ? » je garde le sourire mais le mystère reste entier. Chacun y va de son interprétation : « c’est quelqu’un qui s’est trompé de case »  « ça s’est accroché avec d’autres papiers, les trombones, c’est terrible » .. « c’est arrivé avec d’autres courriers sur le bureau d’un personne en congés » ou de ses suppositions accompagnées de sous-entendus « tu es sûre que cela a vraiment été déposé dans la case de ton service ? » « tu es sûre que ce n’est pas sur un bureau de votre service ? » « Et chez V, tu as regardé ? » Bref tout le monde s’en mêle.
Personne n’a encore osé me demander « es-tu sûre que ce n’est pas toi qui les as ? » mais je me doute que l’un ou l’autre l’aura imaginé dans son cerveau torturé.
Curieusement le problème trouble notre petit univers qui s’ennuie, indolent dans la chaleur de l’été…l’incident défie l’environnement rationnel d’une administration royaume de la paperasse. Car si les documents administratifs s’égarent, où va l’Administration ?
Quant à moi, les points d’interrogation bousculent mes réflexions.

Entre hasard et destin, j’ai toujours oscillé entre l’incrédulité majeure et l’incertitude étonnée.
Si je n’avais commencé hier soir la lecture du récit de D. de Vigan « Les heures souterraines » serais-je envahie aujourd’hui par ces soupçons, prémisses d’un scénario paranoïaque ?
Comment ne pas s’autoriser à penser qu’il existe aussi des erreurs volontaires, qu’il est des coïncidences trop rapprochées pour être honnêtes et que quelqu’un dans nos murs cherche peut-être à nuire à quelqu’un d’autre ?
Je ne suis pas obligatoirement la cible de cette malveillance, ou pas la seule.
Il n’empêche.
A peine rentrée de congés brutalement terminés dans la tristesse d’une disparition, me voilà pénétrée de méfiance, observatrice des faux-pas d’un éventuel personnage à l’esprit tordu, auditrice soupçonneuse de propos (trop) gentils, de faux apitoiements. J’écoute la ritournelle de l’un, puis de l’autre.
Qui croire, finalement ?
En attendant la suite des événements, tout en guettant le jour de sortie de mes pauvres fiches navettes, je surveille tout un chacun, je photocopie tous mes documents avant de les déposer dans des cases, je demande à être prévenue par téléphone lorsque des dossiers me concernant sont prêts, car dorénavant je viendrai les chercher moi-même.
Je m’apprête pour la prochaine attaque, je verrouille, je bétonne.
Car je soupçonne quelqu’un.
Paranoïaque, vous dis-je.